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Gaz ou huile de schiste: le sol français ouvre les appétits



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Il est à l’origine de l’alerte et depuis, on se l’arrache. Fabrice Nicolino, écrivain, journaliste toujours prompt à dénoncer les atteintes à l’environnement, était très attendu l’autre soir au Corum de Montpellier où près de 1.000 personnes se serraient dans une salle trop étroite à l’appel du collectif anti-gaz de schiste de la ville. Des mouvements comme celui créé dans la capitale de l’Hérault par Daniel Berneron, il en pousse plusieurs toutes les semaines à travers la France, dans les régions couvertes par ces cartes où apparaissent les zonages des permis d’exploration de gisements d’hydrocarbures non-conventionnels, autrement dit de l’huile ou du gaz naturel piégés voici des millions d’années entre 1.500 et 3.000 m de profondeur dans des roches sédimentaires argileuses compactes et imperméables, tels que les schistes. Environ 10% du territoire national recèlerait ce type de gisement exploitable grâce à la technique de la « fracturation hydraulique », procédé inventé et déposé par la société américaine Halliburton. Aux États-Unis, depuis le 11 septembre et la volatilité chronique des prix des énergies fossiles, le gaz de schiste est devenu rentable. Dix ans après les premiers forages, cette ressource atteint 15 à 20 % de la production totale de gaz du pays. Bon pour l’indépendance énergétique certes, mais catastrophique pour l’environnement. Sur le net, un documentaire choc, « Gasland », montre les effets pervers de la solution économiquement « miracle » ou écologiquement « finale », c’est selon, avec ces paysages défigurés par les pépinières de puits de forage ou cet habitant de Pennsylvanie dont la flamme du briquet allume l’eau qui coule de son robinet. Du méthane. À Montpellier, tout le monde a vu la scène. Et chacun veut savoir pourquoi elle pourrait se reproduire en France.

Machine de guerre

Pour Nicolino, la fièvre du gaz ou de l’huile de schiste qui gagne notre pays « n’est pas une affaire improvisée. Elle a été pensée par le corps des ingénieurs des Mines, une oligarchie enracinée à l’intérieur de l’État français ou à des postes stratégiques de grandes entreprises comme Total ou GDF-Suez. Ces gens très influents sur le pouvoir politique sont obnubilés par l’indépendance énergétique de la France forcée d’importer massivement du gaz. Pour eux, la présence de la ressource dans notre sous-sol est une opportunité et ils se foutent totalement de toute considération morale ou écologique », observe le journaliste. Selon lui, des tests ont déjà été effectués « dans le plus grand secret en 2007 dans l’Ariège, près de Foix. On est bien face à une machine de guerre ». L’auditoire comprend, mais il veut surtout connaître les impacts, en particulier sur la ressource en eau, sujet hautement sensible dans tout le Languedoc-Roussillon. Jean-Marie Juanaberria a fait le voyage depuis son hameau des Hauts de Crozes, proche de Saint-Jean-de-Bruel, en terre aveyronnaise. À la tête d’une cinquantaine de vaches limousines, le jeune et solide éleveur a provoqué le 20 décembre la réunion qui a fait mouche. José Bové y était, Nicolino aussi, c’est de là que tout est parti : « je suis tombé sur l’arrêté préfectoral qui autorisait le permis d’exploration de Nant sur le Larzac, tout près de ma ferme. Juste quelques lignes dans la presse locale. J’ai appelé un pote au Québec. Là-bas, ils sont confrontés au même problème, notamment l’utilisation massive d’eau pour la fracturation, puis la pollution des nappes avec les produits chimiques qu’ils utilisent », A la tribune, il y a justement André Cicolella, chimiste et toxicologue à l’INERIS.

Le code minier réformé ?

Son exposé très technique gave un participant « on n’est pas à la fac pour un cours magistral, mais pour dénoncer un problème politique !», s’énerve l’impatient. « On a absolument besoin des scientifiques pour étayer notre argumentaire », rétorque Daniel Berneron. Cicolella poursuit : « sur les quelque 900 produits chimiques employés pour fracturer la roche-mère, un tiers à peine sont connus », dit-il, « et sur ce tiers beaucoup ont des propriétés mutagènes et cancérogènes ou sont des perturbateurs endocriniens…». De quoi affoler Hubert Borg, président du collectif du Larzac sud contre les gaz de schiste : « le Larzac est un karst dont l’aquifère très complexe alimente toute la région. Les nappes ont déjà beaucoup diminué, cette exploitation va leur porter un coup fatal », assène-t-il en résumant le sentiment de colère qui agite l’Aveyron, mais aussi l’Ardèche, la Drôme, le Gard et l’Hérault. Les collectivités territoriales ont d’ailleurs réagi, comme le rappelle la socialiste Monique Petard, vice-présidente du Conseil général 34 : « on a décidé à l’unanimité de recourir à une assistance juridique commune pour étudier les procédures civiles à engager et nous avons saisi la Commission nationale de débat public pour obtenir toute la transparence sur cette affaire». Nicolino savoure, d’autant que les élus du coin n’ont pas oublié d’interpeller le gouvernement et Eric Besson, ministre de l’Energie sur sa toute récente initiative de réformer le vieux code minier « en vue de moderniser et simplifier les dispositions applicables aux exploitations minières », dixit le texte de l’ordonnance. En clair, « pas d’enquête publique ou de concertation pour les permis de recherche et omerta totale sur les documents de prospection », affirme le journaliste. À Montpellier l’autre soir, personne n’a été convaincu par la décision de la ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciuscko-Morizet de suspendre les travaux d’exploration de « shale gas » jusqu’en juin, date de la remise d’un rapport d’expertise sur les enjeux environnementaux de cette exploitation. « Elle a agi ainsi par peur de manifestations de colère, de blocages de chantiers. L’ennui, c’est que cette mission a été confiée au Conseil général des Mines et des Ponts-et-Chaussées, à cette oligarchie qui pousse tous les projets...».

 

 



10/02/2014
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