Encore des infos
> >Une enquête de Marine Jobert et Jean-Pierre Canet (Periferik)
> > Ingrédients pour réussir une bonne fracturation hydraulique : mélangez beaucoup d’eau (entre 15.000 et 20.000 m3), du sable et quantités de produits chimiques de synthèse. Projetez ce cocktail à forte pression sur des roches compactes, entre 2 et 3000 mètres de profondeur, pour les fracturer. Vous libérerez alors des hydrocarbures « non conventionnels », dont les fameux « gaz et pétrole de schiste ». Et déclencherez au passage l’ire des écologistes français !
> > Car ce procédé industriel, utilisé à grande échelle aux Etats-Unis, jouit d’une réputation déplorable. Il pourrait bientôt être utilisé en France, à la faveur de permis d’exploration du sous-sol, délivrés en mars 2010 par l’Etat. Aiguillonné par les perspectives d’indépendance énergétique offertes par ce gaz naturel et ce pétrole « made in France », Jean-Louis Borloo, alors super-ministre de l’environnement et de l’énergie, aurait consenti ces permis « sans information et sans consultation des élus et des populations » dénoncent – José Bové en tête – les opposants à cette « nouvelle » énergie fossile. > > De Montélimar au Larzac et jusqu’au Bassin parisien, on s’agite de partout pour contrecarrer cette calamité environnementale. Les réunions publiques d’informations font salle comble, les arrêtés municipaux « anti-gaz de schiste » se multiplient et, main dans la main, conseils généraux et régionaux prennent des délibérations anti-forages (Aveyron, Ardèche, Hérault, Drôme, Gard, Rhones-Alpes, Picardie et bientôt Ile-de-France). La Commission « développement durable » de l’Assemblée nationale a chargé deux parlementaires (l’UMP Jean-Charles Gonnot et le socialiste Philippe Martin) de rédiger un rapport d’information parlementaire sur les gaz de schiste, à partir du 16 février.
> > C’est que l’exemple américain a de quoi faire frémir. Si le pays a atteint l’indépendance énergétique gazière en moins de dix ans, c’est au prix fort pour l’environnement, la santé et les paysages. Des nappes phréatiques polluées, des terres trouées de centaines de milliers de puits, des caravanes de camions géants jetés sur les routes, un air toxique en rase campagne, sans oublier l’augmentation des émissions de CO2… Voilà le spectacle dramatique créé par l’industrie des gaz de schiste aux Etats-Unis. Les produits chimiques de synthèse, utilisés pour dissoudre les minéraux, limiter le développement de bactéries nuisibles au bon état des tuyaux ou encore « sécher » le gaz, sont particulièrement décriés.
> > Couverts par des brevets et jalousement tenus secrets par l’industrie (plus de 600 ont toutefois été recensés [1]), la plupart sont accusés d’avoir des impacts sur la peau, les yeux ou le système respiratoire, nerveux, immunitaire ou cardiovasculaires. Les témoignages d’habitants désespérés du documentaire Gasland de Josh Fox – attaqué à l’artillerie lourde par les gaziers, surtout depuis sa nomination aux Oscars – démontrent sans fard que la fracturation hydraulique peut aussi avoir des effets catastrophiques.
> > Alors… Texas / Larzac, même désastre en perspective? Non, assure Nathalie Koscuisko-Morizet, « pas prête à accepter en France les paysages désolés des Etats-Unis ». Les écologistes auraient-ils crié trop vite au scandale ? Accusés par les opposants au projet de cautionner une décision « d’experts » opaque et antidémocratique, la ministre de l’environnement et Eric Besson – ministre chargé de l’industrie et de l’énergie – ont fini par annoncer, le 4 février dernier, la création d’une mission « pour évaluer les enjeux environnementaux de cette nouvelle technologie d'extraction ». Une position prudente, que vient contredire un document découvert par Mediapart dans les archives de la Drire de Midi-Pyrénées. Le rapport « Bilan 2007, objectif 2008 » (voir le PDF) démontre sans équivoque que la fracturation hydraulique a déjà été utilisée en France. Cette première a eu lieu sur la commune de Franquevielle (Haute-Garonne), en mars et en avril 2007, dans le cadre du « Permis de Foix ».
> > Ces produits sont utilisés à proportion de 0,5 à 2% du mélange. L’Institut français du pétrole a estimé que ce sont 22 m3 de ces additifs qui sont injectés à chaque fracturation dans le sol.
> > Confrontée au document, la ministre assure : « je ne découvre pas ça » et confirme qu’il y a eu « de temps en temps » des fracturations hydrauliques en France. « En général, ce sont des tentatives d’exploration » précise-t-elle. Soit exactement le cas de figure dénoncé par les écologistes : l’utilisation, sans information du public, d’une technique dommageable pour l’environnement. Après avoir banalisé la technique en elle-même (« C’est une technique qui est utilisée traditionnellement dans l’exploration »), NKM explique que « ce qui (lui) pose le plus problème, c’est la multiplication des fracturations hydrauliques, en surface avec les problèmes paysagers, et en sous-sol avec les risques pour la nappe phréatique ».
> > Problème de densité des forages pour la ministre. Problème du « process » lui-même pour les écologistes. Le précédent de Franquevielle donne l’occasion d’en apprendre plus sur les pratiques industrielles déployées pour explorer le sous-sol. La maire de Franquevielle, 333 habitants au dernier recensement, se souvient des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’exploration. Pierrette Martin-Louge assure qu’Encana, leader nord-américain du gaz de schiste, a rempli tous ses engagements, organisant des réunions publiques et des visites de chantier et versant même au passage quelques menus subsides aux associations locales !
> > A l’époque, Encana n’aurait pas dévoilé la liste précise des produits chimiques de synthèse utilisés, selon la maire. Et le document de la Drire ne fait pas non plus état de l’utilisation de tels produits, alors même que de « l’eau visqueuse » aurait été employée, dixit Mme Martin-Louge. Aux Etats-Unis, la composition des additifs utilisés est protégée par le secret industriel. Finalement, l’aventure a vite tourné court pour Encana, car si cet essai « s’est avéré positif du point de vue de la méthode, la quantité de gaz recueillie (n’a pas permis) d’avoir une rentabilité économique du forage », précise la Drire. Seules les associations locales en auront profité ! Mais que se serait-il passé si la rentabilité du puits du « Permis de Foix » avait été jugée satisfaisante par l’industriel ? NKM est formelle : « Ce n’est pas parce que l’exploration marche bien et qu’on découvre qu’il y a un bon gisement que ça donne droit à un permis d’exploitation», assure-t-elle.
> > Une position, sur le papier, fidèle aux contre-pieds dont la ministre est capable face à sa majorité, comme sur le dossier des OGM. D’ailleurs, Nathalie Kosciusko-Morizet a peu goûté ce « cadeau empoisonné » que lui avait laissé Jean-Louis Borloo. « Une passe d’armes aigrelette » a eu lieu entre eux sur ce thème la semaine dernière, rapporte un témoin, qui ajoute que l’ancien ministre de l’environnement se serait alors défaussé sur son ancien directeur de cabinet, Jean-François Carenco, aujourd’hui préfet de la région Rhône-Alpes, et donc en première ligne pour gérer la bronca anti-gaz de schiste… ! Tactique, NKM insiste : son « job » serait de veiller sur l’environnement. Elle renvoie sur Eric Besson pour la stratégie énergétique. Lors d’un déplacement dans la Drôme il y a quelques jours, NKM jurait d’ailleurs que «si la seule technologie disponible est celle des Etats-Unis, il n'y aura pas de permis donné ». En France, c’est Total et GDF Suez qui se sont lancés dans l’aventure de ce gaz dit « non conventionnel », avec les permis de Montélimar, de Nant et de Villeneuve-de-Berg, qui couvrent près de 15.000 km2. D’autres permis devraient bientôt être délivrés par le ministère en charges des Mines – compétence d’Eric Besson – pour une surface de 24.000 km2 au total (Brignoles, Valence, Provence, Lyon-Annecy, Cahors, en gris sur http://www.developpement-durable.gouv.fr/Carte-des-titres-miniers-d.html).
Mais si les entreprises qui détiennent les permis d’exploration sont bien françaises, la technique de la fracturation hydraulique reste pour l’heure une expertise yankee. Total a topé avec l’américain Chesapeake, le leader mondial dans l’exploration, pendant que GDF Suez s’est offert l’expertise des texans Schuepbach Energy (http://www.schuepbachenergy.com/) et Dale, « spécialiste du forage urbain » (http://www.dale-energy.com/). Il faudra travailler « à la française », martèle le ministère de l’environnement. La filiale « Shalegas » de Total, de son côté, insiste sur « l’acceptabilité sociale nécessaire» du projet et assure que le nombre des produits chimiques utilisés sera réduit et que leur liste sera dévoilée.
Restent les faits : en France, la fracturation hydraulique a déjà été utilisée et les pouvoirs publics n’ont pas estimé nécessaire de rendre cette information publique, à l’heure où la polémique sur le sujet était en train d’enfler. C’est cette opacité que reproche l’eurodéputé José Bové, fer de lance de la contestation.
La stratégie de communication du ministère de l’environnement a d’abord été très légaliste dans ce dossier. Début janvier, alors que la mobilisation des « anti-gaz de schiste » pointe à peine, le directeur de cabinet de NKM, Jean-Marie Durant, détaille dans un courrier les étapes prévues par le code minier. Il écrit notamment que les permis d’exploration « ont pour objectif une meilleure connaissance du sous-sol », estimant que « les forages à réaliser sont des puits de reconnaissance faisant appel à des techniques classiques ». Il insiste : « Les techniques qui (vous) inquiètent » sont réservées à la phase d’exploitation. C’est faux, comme le démontre le précédent du « permis de Foix » : même en phase d’exploration, la fracturation hydraulique est utilisé.
Début février, le MEDDTL et le secrétariat à l’énergie ont finalement opté pour la mission d’information, menée par quatre experts issus du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) et du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), « afin d'éclairer le gouvernement sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des (…) gaz et huiles de schiste ». Jusqu’au rendu de ce rapport – mi-mars, pour le rapport d’étape, puis au plus tard le 30 mai – les ministres demandent aux préfets de ne pas délivrer d’autorisation de travaux aux industriels pourtant dûment munis de permis d’exploration.
En suspens, le chantier en cours à Doue (Seine-et-Marne). La société Toreador Energy France – dont Julien Balkany, le demi-frère du maire de Levallois-Perret, est le vice-président du conseil d’administration – a déjà obtenu toutes les autorisations pour forer dès le mois prochain à la recherche de pétrole de schiste dans le Bassin parisien, suscitant l’inquiétude des écologistes.
Pour éviter un affrontement prévisible et qui aurait ruiné toutes les tentatives ministérielles d’apaisement, une réunion a été organisée jeudi 10 février avec les industriels. Toreador Energy France et Vermilion Rep acceptent de différer les forages jusqu’à la mi-mars – date du rapport d’étape – et s’engagent « à n’entreprendre aucune fracturation hydraulique avant que les conclusions du rapport final de la mission ne soient tirées ». Total et Schuepbach Energy LLC (le partenaire de GDF Suez) suspendent toute opération sur le terrain jusqu’à la restitution du rapport final, fin mai.
La ministre de l’environnement a assuré à Mediapart qu’un recensement de tous les sites où a été utilisée la fracturation hydraulique était en cours. Elle pourra d’ores et déjà y noter deux fracturations hydrauliques jusqu’ici restées dans l’ombre et qui ont été glissées discrètement dans le communiqué de presse du 10 février. « Vermilion Rep a une production inférieure à 10 m3 par jour d’huiles de roche-mère à partir de 2 puits en Seine-et-Marne ayant fait l’objet de test terminé de fracturation hydraulique. » La parole se libère…
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