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Lettre de Frédéric à Nathalie


MontclarLauragais,
le 27 mars 2011
Frédéric Boutet
Le village
31290 MontclarLauragais


Madame la Ministre
Nathalie KosciuskoMorizet
Ministère de l'Ecologie, du Développement Durable
du Transport et du Logement
Grande Arche
Tour Pascal A et B
92055 La Défense CEDEX


Lettre ouverte
Copie à :
– Nicolas Sarkozy, Président de la République Française
– Christophe de Margerie, Président Directeur Général du groupe Total
– Peter Clutterbuck, Chief Executive Officer, 3legs Oil & gas
– Le Canard Enchaîné
OBJET : A propos des permis d'explorer les gaz de schiste

 

Madame la Ministre,


Vous et nous savons très bien où toute cette histoire va se régler : sur le terrain, quand les camions vont arriver. Alors que la foule se mettra là où les compagnies veulent planter leur matériel de forage, vos forces de « l'ordre » y seront aussi pour départager les belligérants. Et alors, il vous appartiendra de décider si elles tirent sur la foule, à balles réelles ou pas.
Il n'y a pas d'Etat. Il y a cent compagnies privées internationales, dont une cinquantaine sont basées aux USA. Il n'y a pas d'Etat, mais vous avez néanmoins le pouvoir de tirer sur vos compatriotes, pour qu'une fraction de ces compagnies puissent continuer à extraire plus de profits de la Terremère et des Hommes. Ils ne peuvent pas tirer directement. S'ils vous l'ordonnent, vous le ferez. Mais ils ne vous l'ordonneront peut-être pas pour pouvoir continuer à faire l'illusion de la démocratie ou bien parce que des compagnies concurrentes seront trop jalouses. Le peuple tunisien s'est révolté début 2011 quand il a vu dans ses courriels les images des gens tués par balle. Entre temps, il y a cet audit, cette commission, censés faire baisser la pression. Il y a ce semblant de contrôle que l'Etat pourrait avoir sur ces compagnies. Il y a toutes ces tergiversations autour de la question énergétique, comme si le fait que gouvernement d'abord puis les médias ensuite en parlent constituait une étape d'un processus démocratique. Il y a toutes ces contorsions autour des mots, « développement durable », « pas d'exploitation à l'américaine », des « éléments de langage » judicieusement étudiés. Il y a toutes ces tentatives de politicardisation de la question : les « écologistes » d'un côté, les «réalistes» de l'autre. Mon grand-père, en août 1940, vingt ans après sa naissance quasiment jour pour jour, a fabriqué chez lui deux affiches puis les a placardé sur les platanes de la place de son village. Il y
avait écrit : « la collaboration avec l'ennemi porte partout le même nom et est partout passible de la même peine ». Il y a des gens qui reconnaissent rapidement ceux qui agissent pour le bien de la communauté et ceux qui agissent pour les intérêts d'une minorité de nantis bien nés totalement inconscients de la notion de biodiversité. Si les tueurs des forces de l'ordre m'abattent pour les intérêts des compagnies et que j'abandonne mes enfants sur cette Terre, d'abord ce sera en conscience par l'écriture et la lecture de cette lettre, et ensuite, mes pensées s'envoleront ce jour là pour mon grand-père c'est à dire avant tout, pour la liberté. Que de grands mots... J'espère. Vous connaissez peut-être l'histoire de Joseph Epstein. Adolescent à Zamosc en Pologne, fils de Szlama Epstein, issu d’une famille bourgeoise aisée, des rabbins, des entrepreneurs, des gens cultivés, des érudits, Joseph Epstein lui, prend dans son coeur la classe ouvrière et s’identifie complètement à elle au point de lui ressembler. Son destin le fera devenir chef des FTPF, Francs Tireurs Partisans Français, d'Ile de France au Printemps 1943, un héros de la Résistance qui sera pourtant totalement mis dans l'ombre par les nouvelles autorités arrivées au pouvoir en 1944. « Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de dictature que reverrons peut-être un jour au pouvoir, dans cet oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d'algèbre damnée ». René Char. Feuillets d'Hypnos.
Oui, c'est grâce à l'action de ces étrangers, ces « juifs », ces « communistes », grâce à Marcel Langer à Toulouse, grâce au génie militaire de leur chef Epstein dans les rues et les gares ferroviaires d'Ile de France, que de Gaulle est entré dans Paris en déclarant que c'était le peuple français qui l'avait libérée. Votre grand-père Jacques KosciuskoMorizet, s'est assis dans son fauteuil de Ministre grâce à Joseph Epstein – pas que lui bien sûr – mais ce nom, personne ne l'a évoqué à la Libération. Est-ce que Jacques est allé voir la veuve et l'orphelin de Joseph ? Pourquoi je vous raconte cela ? Parce que selon Karl Marx, « celui qui ne connaît pas l'histoire est condamnée à la revivre ». Maintenant, à la place des forces de l'ordre, il se peut que vous laissiez faire les employés des compagnies. Redoutables. Il y a chez ces esclaves modernes une certaine folie, surtout chez les jeunes qui ont ingurgité peut-être cinq cent mille spots publicitaires en guise d'exercice à l'esprit critique, de quoi former un solide « appétit de dictature ». Moi je rêve de liberté, et eux cherchent le corps parfait. Vous pourriez donc les laisser se défouler sur ce que les médias appellent des « écolos ».
Pourtant, qui possède du caractère ? Le caractère, c'est la solide trempe des facultés. C'est
parce que dans la plaine de Montélimar, sur le Causse du Larzac, dans le Sarladais, le peuple
français sait faire, c'est bien parce qu'il a la faculté de s'organiser pour faire, qu'il refuse
l'exploitation de la rochemère par fracturation hydraulique. C'est bien parce qu'il a du caractère qu'il refuse d'être son propre esclave : qu'y a-t-il de plus avilissant que de creuser sa propre terre, y injecter l'eau avec les produits chimiques pour allumer le gaz et surtout allumer la télé ?Une des armes des compagnies, une arme indirecte qui a remplacée les vraies armes qui tuent directement, c'est la politicardisation : alors ce serait les écolos contre les réalistes ?
Le territoire français est indivisible par les partis politiques.
Le drapeau français est indivisible par les partis politiques.
La langue française est indivisible par les partis politiques.
Le peuple français est indivisible par les partis politiques.
Vous êtes à l'UMP ? Je m'en moque éperdument. Cela ne veut rien dire. Je sais juste que l'eau coule encore à la rivière. Je sais juste que la terre donne encore des carottes et je sais que des
paysans boulangers cultivent encore la biodiversité du blé et du pain. Il n'y a qu'une seule ressource en eau. Elle n'est pas divisible par les partis politiques, par des clivages écologistes / réalistes. Elle est là. Le minimum vital c'est de la préserver. Souvent, à ceux qui prônent un certain « réalisme », je demande : « votre vie, grâce au gaz, s'améliore-t-elle? ». Non, notre vie à tous se dégrade très vite. Et ceci est uniquement du au fait que nous sommes les esclaves des compagnies qui disent : « how can we make more money? ».
Donc, madame la Ministre, ce sont des temps d'algèbre damnée. A nouveau. Si vous ordonnez la force par tous les moyens pour permettre aux compagnies de forer, alors cette lettre sera peut-être mon testament. Si vous n'ordonnez pas la force, et laissez ce peuple vivre en paix, les compagnies ne vous feront peut-être pas de cadeau. Mais en avez-vous seulement le pouvoir ? Est-ce que nous en avons le pouvoir ? Assurément nous l'avons. Mais n'oublions pas l'Histoire. La société 3 legs Oil & Gas s'est installée en Pologne et l'Etat lui a déroulé le tapis rouge. C'était avant la propagation du film « Gasland ». Mais que vont penser les polonais de leurs « dirigeants » quand le viol de la Terremère aura été perpétré ? Quand ils auront souillé de leurs produits la vie et l'espace de ce peuple si fier – comme le français – de ses savoir faire ancestraux? Par ailleurs, Je me demande pourquoi vous ne faites pas intervenir vos services spéciaux après la loi LOPPSI II. En 1940 la Préfecture de Bordeaux connaissait la liste de tous les militants pour l'Internationale des travailleurs qui avaient placardé affiches sur affiches et avaient fait gagner le Front Populaire en 1936. Les congés payés ne plaisaient pas trop au patronat. Ces gens ont été raflés et déportés. Aujourd'hui, vous nous connaissez tous par les services du Ministère de l'Intérieur, nous militants écologistes, altermondialistes, qui avons stoppé l'invasion des semences OGM, qui rendons visible toutes les manipulations d'opinions sur la privatisation de l'école, de la santé, des autoroutes, de la poste, de l'électricité, du téléphone, des nouvelles communications, des médias, sur le caractère inflationniste du système bancaire, sur cette inflation qui nous prend tous à la gorge et qui nous obligé à trimer dur pour enrichir les actionnaires des compagnies. Nous rendons chaque jour plus visible des alternatives intéressantes, des moyens de reprise en main de notre vie, comment se fait-il que les compagnies ne vous ont pas encore donné l'ordre de réaliser l'ethnocide que Franco a réalisé en 1936 en partant de Cadix et en remontant vers Madrid ?
Oui cet ethnocide ! Franco a fait assassiner des centaines de milliers d'espagnols qui vivaient
simplement sans gouvernement autoritaire : des anarchistes. Aujourd'hui, quelle est la liste de ces gens dont tout le monde tait le nom ? Vous ne nous faites pas arrêter ? Serait-ce parce que vous ne savez pas trop si c'est dans votre intérêt de vous retrouver seuls avec les compagnies et les suiveurs de l'UMPS pour reprendre la formule de la « vague bleue Marine » ? Il sera probablement inutile de me répondre par les habituelles tournures affriolantes de circonvolutions grammaticales qui n'ont de sens que le fameux « cause toujours ». La liberté, ça ne se donne pas. Ca se prend. Nous allons la prendre, sans oublier l'Histoire. A travers cette lettre au Ministre de la cinquième république française, je rend un humble hommage à la mémoire de tous les gens qui ont lutté pour la liberté, à mes copains et copines qui sacrifient une partie de leur vie pour obtenir ce qui précisément sera apprécié par ceux qui confortablement les regardent aujourd'hui se saigner le portemonnaie, à tous ceux qui rejoignent peu à peu le mouvement de reprise en main de notre destin, à leur échelon propre, petit à petit mais sûrement.


Rendez-vous donc sur le terrain.


Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en mes sincères sentiments.


NO GAZARAN !


Lettre à la Ministre NO GAZARAN ! 27 mars 2011 4/4



21/05/2014
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